Du jambon à votre boîte mail.

L'Incroyable Histoire du Mot "Spam"

Découvrez comment une conserve de la Seconde Guerre mondiale et un sketch culte des Monty Python ont donné leur nom au fléau de nos e-mails.

boites de conserves SPAM qui tombent du ciel
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Sébastien Sturmel

27 juillet 2025

Chaque jour, des milliards de fois à travers le monde, une action quasi-instinctive se produit : un clic sur le bouton "Signaler comme spam" ou un glissement de doigt vers la corbeille. Le spam, ce flot incessant de courriels non sollicités, de publicités pour des produits douteux, de tentatives d'hameçonnage et de propositions princières venues du Nigeria, est devenu une part si intégrante de notre vie numérique que nous n'y prêtons presque plus attention. C'est une nuisance, un bruit de fond, une taxe invisible sur notre temps et notre attention.

Mais en pleine gestion de cette marée de messages indésirables, une question saugrenue a pu traverser votre esprit : pourquoi ce mot ? Pourquoi "spam" ? Quel est le lien entre ce fléau digital et cette fameuse conserve de jambon à la couleur rosée et à la réputation... discutable ?

La réponse est une histoire rocambolesque, un voyage improbable qui nous emmène des tables de la Grande Dépression aux champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, en passant par un café miteux de la comédie britannique pour finalement atterrir dans les premières communautés en ligne. C'est l'histoire d'un mot qui a parfaitement su capturer l'essence d'une nuisance, bien avant que celle-ci n'existe sous sa forme numérique. Pour comprendre le spam, il faut d'abord comprendre le SPAM®.

Partie 1 : SPAM®, l'Icone Américaine

La naissance d'une conserve

Nous sommes en 1937, en pleine Grande Dépression. L'entreprise américaine Hormel Foods, basée au Minnesota, cherche à créer un produit carné bon marché, facile à conserver et à transporter. Le résultat est une préparation à base d'épaule de porc et de jambon, moulée dans une boîte de conserve rectangulaire reconnaissable entre toutes. Le nom, "SPAM", est le fruit d'un concours. Si l'acronyme officiel reste un secret bien gardé par Hormel, les théories les plus populaires suggèrent "Spiced Ham" (Jambon Épicé) ou "Shoulder of Pork And Ham" (Épaule de Porc et Jambon).

Le succès est immédiat. Dans une Amérique qui peine à se nourrir, le SPAM est une source de protéines abordable et durable. Mais c'est la Seconde Guerre mondiale qui va transformer cette simple conserve en une icône mondiale.

Le jambon qui gagna la guerre

Avec l'entrée en guerre des États-Unis, le SPAM devient un pilier de l'alimentation des troupes. Plus de 150 millions de boîtes sont expédiées aux soldats américains et alliés à travers le monde. Facile à transporter, ne nécessitant pas de réfrigération, il est présent sur tous les fronts, du Pacifique à l'Europe. Pour des millions de soldats, le SPAM est le goût du quotidien, un rappel constant et parfois lassant de la logistique de guerre. Il est consommé froid, frit, en ragoût, devenant un symbole de subsistance dans les conditions les plus rudes.

Nikita Khrouchtchev lui-même admettra plus tard que sans les livraisons de SPAM américain, l'Armée Rouge aurait eu d'immenses difficultés à nourrir ses troupes. Cette distribution massive ancre le SPAM dans l'inconscient collectif mondial. Après la guerre, il reste un aliment de base dans de nombreux pays qui ont connu des privations, notamment au Royaume-Uni, à Hawaï, et dans plusieurs nations asiatiques.

Cependant, cette omniprésence a un revers. Le SPAM devient synonyme de nourriture basique, répétitive et parfois imposée. On le trouve partout, tout le temps, que l'on en veuille ou non. C'est précisément cette caractéristique – son caractère omniprésent, répétitif et inéluctable – qui va planter la graine de sa future incarnation numérique. Il ne manquait plus qu'un catalyseur pour faire le lien. Ce catalyseur viendra d'un groupe de comiques britanniques totalement absurdes.

Partie 2 : Le Catalyseur Comique, le Sketch des Monty Python

En décembre 1970, la BBC diffuse le 25ème épisode de la série humoristique "Monty Python's Flying Circus". L'un des sketches de cet épisode, simplement intitulé "Spam", va, sans le savoir, donner naissance à l'un des termes les plus connus de l'ère Internet.

"Spam, spam, spam, spam... Lovely Spam ! Wonderful Spam !"

Le sketch se déroule dans un petit café modeste et un peu sale. Un couple, M. et Mme Bun, essaie de commander un petit-déjeuner. Une serveuse, jouée par Terry Jones déguisé en femme, leur récite le menu avec un enthousiasme déconcertant. Le dialogue est un chef-d'œuvre d'absurdité :

Serveuse : "Bonjour ! Alors, nous avons : œuf et bacon ; œuf, saucisse et bacon ; œuf et spam ; œuf, bacon et spam ; œuf, bacon, saucisse et spam ; spam, bacon, saucisse et spam ; spam, œuf, spam, spam, bacon et spam ; spam, saucisse, spam, spam, bacon, spam, tomate et spam..."

Mme Bun, qui n'aime pas le SPAM, tente désespérément de commander un plat qui n'en contient pas. Chaque tentative est un échec, la serveuse lui proposant des alternatives toujours plus envahies par le fameux jambon en boîte. La conversation devient de plus en plus surréaliste, noyée sous le mot "spam".

Le génie du sketch atteint son paroxysme lorsqu'un groupe de Vikings assis à une autre table se met à chanter à tue-tête, interrompant toute conversation possible :

"Spam, spam, spam, spam... LOVELY SPAM ! WONDERFUL SPAM !"

Le dialogue du couple est complètement submergé par ce chant assourdissant et répétitif. Le mot "spam" est martelé encore et encore, devenant un bruit de fond indésirable qui rend toute communication sensée impossible.

L'analyse du génie comique

Le comique du sketch ne repose pas seulement sur l'absurdité de la situation. Il repose sur trois piliers qui deviendront la définition même du spam numérique :

L'Abondance Indésirable : Le SPAM est partout sur le menu, même là où il n'a rien à faire. On ne peut y échapper.

La Répétition à l'Excès : Le mot "spam" est répété des dizaines de fois, jusqu'à perdre son sens et devenir une pure nuisance sonore.

L'Interruption de la Communication : Le chant des Vikings submerge la conversation légitime du couple. Le "spam" empêche le dialogue normal.

Ce sketch a ancré dans la culture populaire britannique, et plus tard mondiale, l'idée que le mot "spam" est associé à une répétition massive et indésirable qui noie tout le reste. Il ne restait plus qu'à attendre l'avènement d'un nouveau médium de communication pour que le terme trouve sa véritable vocation.

Partie 3 : La Transition Numérique, des MUDs à Usenet

L'histoire du mot "spam" bascule dans le monde numérique à travers les premières communautés en ligne, bien avant l'avènement du World Wide Web tel que nous le connaissons.

Les premiers "spammers" sur les MUDs

Dans les années 1980, les MUDs (Multi-User Dungeons) étaient des jeux de rôle textuels en ligne, des ancêtres des MMORPG modernes comme World of Warcraft. Les joueurs interagissaient via des lignes de commande. Dans cet environnement, certains utilisateurs malicieux avaient pris l'habitude de "spammer" le chat. L'une des techniques consistait à inonder l'écran de tous les joueurs connectés avec des centaines de lignes de texte répétitives, souvent en tapant le mot "spam" encore et encore, en référence directe au sketch des Monty Python. Le but était de faire défiler les conversations légitimes des autres joueurs hors de l'écran, de saturer le serveur et de perturber le jeu. Le verbe "to spam" était né, signifiant "inonder un canal de communication avec du contenu répétitif et inutile".

Usenet et la première grande attaque de spam commercial

Le véritable point de bascule a lieu sur Usenet. Usenet était un système de forums de discussion décentralisé, organisé en "newsgroups" thématiques. C'était un lieu d'échange pour les universitaires, les chercheurs et les passionnés d'informatique, régi par une étiquette non-écrite, la "netiquette", qui interdisait formellement la publicité commerciale.

Le 30 avril 1994, cette règle est pulvérisée. Deux avocats, Laurence Canter et Martha Siegel, utilisent un script pour poster massivement un message publicitaire sur près de 6000 newsgroups simultanément. Le message, intitulé "Green Card Lottery – Final One?", faisait la promotion de leurs services d'aide à l'immigration.

La réaction de la communauté Usenet fut volcanique. C'était une violation sans précédent de la culture du réseau. Les utilisateurs, furieux de voir leurs forums de discussion spécialisés envahis par cette publicité non pertinente et répétitive, ont immédiatement cherché un mot pour décrire ce phénomène. Se souvenant du sketch des Monty Python, où une conversation est noyée sous un flot de "spam" indésirable, le terme fut adopté quasi instantanément. L'action de Canter et Siegel fut qualifiée de "spamming", et leurs messages de "spam".

C'est cet événement qui a solidifié le sens moderne du mot : un message électronique non sollicité, envoyé en masse à des fins commerciales ou malveillantes.

Partie 4 : L'Âge Industriel du Spam par E-mail

Si Usenet fut le berceau du spam, l'e-mail en est devenu le terrain de jeu mondial. Le passage au courrier électronique dans les années 1990 et 2000 a transformé cette nuisance artisanale en une véritable industrie.

La démocratisation d'un fléau

L'e-mail offrait aux spammeurs un avantage décisif : un coût d'envoi quasi nul. Envoyer un million de courriels ne coûtait pas plus cher que d'en envoyer dix. Le modèle économique du spam était né : même avec un taux de réponse infinitésimal (0.001%), un envoi massif pouvait devenir rentable.

Le contenu du spam a également évolué. Des simples publicités, on est rapidement passé à des formes bien plus pernicieuses :

L'hameçonnage (Phishing) : Des e-mails se faisant passer pour votre banque ou un service connu pour vous voler vos mots de passe.

Les Arnaques : Les fameuses "arnaques nigérianes" ou les promesses de gains miraculeux.

La Propagation de Malware : Des e-mails contenant des pièces jointes ou des liens infectés par des virus, des ransomwares ou des logiciels espions.

La course à l'armement technologique

Face à cette prolifération, une véritable course à l'armement technologique s'est engagée. D'un côté, les fournisseurs de messagerie et les entreprises de sécurité ont développé des filtres anti-spam de plus en plus sophistiqués. Des simples listes noires d'expéditeurs, on est passé aux filtres bayésiens, capables d'analyser le contenu d'un message et de calculer la probabilité qu'il s'agisse d'un spam.

De l'autre côté, les spammeurs ont rivalisé d'ingéniosité pour contourner ces filtres : modification de mots (V1agra), utilisation d'images contenant du texte, envoi depuis des réseaux d'ordinateurs zombies (botnets) pour masquer leur origine...

Aujourd'hui, on estime que plus de 50% du trafic e-mail mondial est constitué de spam. Bien que nos filtres soient devenus remarquablement efficaces pour les reléguer dans un dossier dédié, ils représentent toujours un coût colossal en termes d'infrastructure, de sécurité et de perte de productivité.

Conclusion : De la Conserve à la Corbeille, une Leçon Culturelle

L'histoire du mot "spam" est une fascinante illustration de la manière dont la culture populaire peut façonner notre langage technologique. D'une simple conserve de porc devenue icône de l'omniprésence, à un sketch absurde des Monty Python qui a parfaitement capturé l'essence de la répétition indésirable, le mot a trouvé sa destination finale dans nos boîtes de réception.

Ce qui est remarquable, c'est que la signification profonde n'a jamais changé. Que ce soit sur un menu de café, dans un jeu en ligne, sur un forum Usenet ou dans un courriel, "spam" a toujours désigné une intrusion massive, répétitive et non sollicitée qui perturbe une communication légitime.

La prochaine fois que vous viderez votre dossier "Courrier indésirable", ayez une pensée pour ce groupe de Vikings chantant les louanges d'un jambon en boîte. Sans eux, nous aurions sans doute dû inventer un autre mot, probablement bien moins savoureux, pour décrire ce fléau de notre ère numérique.

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